LES MENSONGES DE LOCKE LAMORA

LES SALAUDS GENTILSHOMMES I

 

Scott Lynch

 

livre

Les Verrariens, les Karthaniens et les Lashaniens hochent la tête d’un air entendu lorsqu’ils entendent cette histoire. Ils l’estiment apocryphe, mais elle confirme quelque chose dont ils sont conscients dans leur cœur : que les Camorriens sont de foutus cinglés. Les Camorriens, en revanche, la considèrent comme un avertissement important : ne pas tergiverser avec la vengeance – ou, si on ne peut obtenir satisfaction immédiatement, considérer les mérites d’une mémoire à rallonge.

 

 Publication de l'imaginaire

 

Fantasy

Adulte

 

   On l’appelle la Ronce de Camorr. Un bretteur invincible, un maître voleur. La moitié de la ville le prend pour le héros des miséreux. L’autre moitié pense qu’il n’est qu’un mythe. Les deux moitiés n’ont pas tort. En effet, sachant à peine manier l’épée, Locke Lamora est, à son grand dam, la fameuse Ronce.

Les rumeurs sur ses exploits sont en fait des escroqueries de la pire espèce, et lorsque Locke vole aux riches, les pauvres n’en voient pas le moindre sou. Il garde tous ses gains pour lui et sa bande : les Salauds Gentilshommes. Mais voilà qu’une mystérieuse menace plane sur l’ancienne cité de Camorr. Pris dans un jeu meurtrier, Locke et ses amis verront leur ruse et leur loyauté mises à rude épreuve. Rester en vie serait déjà une victoire…

Critique par Élisabeth L.

 

    On me l’a souvent recommandé, on m’en a montré des passages, on m’en a parlé, et je me suis laissé tenter. Il faut reconnaître aussi que les nouvelles couvertures sont vraiment belles ! L'occasion était donc à prendre.

    Dès les premières pages, on prend plaisir à la lecture grâce à la plume recherchée, sans pour autant être lourde, que nous offre l'auteur à travers une narration qui sait se faire légère et joueuse, voire dramatique quand cela est nécessaire, notamment dans les derniers passages particulièrement forts. Il en va de même pour les dialogues, très vivants et réalistes, dans lesquels on trouve souvent des touches d’oralité et de vulgarité en accord avec les locuteurs, mais également d’humour, parfois très présent dans les enchaînements de répliques. Cependant, si ce désir de rendre les dialogues réalistes et spontanés plaira à la plupart des lecteurs, les nombreux « ah » d’hésitation de Locke sont rapidement pénibles du fait du peu de pertinence qu'ils offrent. Coté agencement du roman, celui-ci s'organise en gros chapitres, eux-même divisé en scènes qui alternent parfois entre passé proche et présent, ou plus souvent entre points de vue, de quoi dynamiser le récit et ménager le suspense, sans pour autant nuire à la facilité de lecture. Il en va de même entre les chapitres, grâce à des interludes racontant de petites anecdotes historiques ou bien la formation de Locke et des autres Salauds. Les chapitres sont ainsi bourrés d’échos entre ce que les personnages ont appris jeunes, l’histoire de Camorr et l’affaire présente, tout en évitant l’écueil des longues analepses forcées en narration. On pourra relever une ou deux coquilles mais c’est vraiment très peu compte tenu de la longueur du roman. De manière plus générale, à part une bizarrerie consistant à appeler cognac ce qui est appelé brandevin deux lignes plus haut – encore plus dommage en regard du fait que le cognac est le brandevin spécifiquement produit dans la région française de Cognac –, il n’y a rien de particulièrement gênant qui relèverait de l’édition elle-même.

    Niveau intrigue, le cadre du roman tourne autour du dépouillement d’un couple de riches notables de la ville, les Salvara, par les Salauds Gentilshommes. Cette affaire en rencontre toutefois une autre, qui cette fois touche tous les voleurs : le Roi Gris, cet homme mystérieux qui semble vouloir s’en prendre au chef actuel des voleurs, le capa Barsavi, sans crainte de laisser une traînée de cadavres dans son sillage. Les deux s’entremêlent plutôt bien – parfois trop bien de l’avis des Salauds, qui n’ont pas le don d’ubiquité. La surprise et les retournements de situation ponctuent le déroulé du roman de manière très habile pour éviter qu’il n’y ait des longueurs ou de la facilité, sans non plus tomber dans des complications exagérées. L’histoire nous donne à voir une véritable société des voleurs, organisée autour de sa hiérarchie et de son clergé, au milieu de la cité de Camorr, sorte de Venise commerciale de la Renaissance avec ses canaux, lieu grandiose et en même temps fissurée, sale, loin d’être idéalisée, où l'on découvre une profusion de couleurs qui se dégagent de l’ambiance générale : pêche, brun et brun bleu, un peu passées. Les contrées alentours sont introduites peu à peu, l’inscrivant dans un tout cohérent. La mention de medekiner et de medekine, ainsi que de finankier (en italique pour l’un, mais pas pour l’autre) m’a toutefois laissée perplexe dans une cité d’inspiration clairement italienne, d’autant que ce sont les seuls emprunts visibles aux langues alentours. C’est d’autant plus étrange qu’il s’agit de la finance, l’activité de base de la cité, et de la médecine, que généralement chaque civilisation connaît depuis longtemps. L’alchimie, pleinement intégrée dans la société, apporte quant à elle une touche d’originalité, tant dans les objets que les tissus et la nourriture, ce qui émerveille à la lecture et donne vraiment à Camorr son caractère propre avec ses faces sombres et ses faces éclatantes. Il en est de même pour les quelques touches de magie qui seront sans doute être creusées dans les tomes suivant. Enfin, l’intérêt porté d’une part aux différents cultes, cultures, vêtements est très bien intégrè au roman et ravira ceux qui, comme moi, adorent tout ce qui touche à la vie et à la mode historique. Le tout participe grandement à construire l’ambiance très particulière de cette cité mais surtout à donner de la profondeur à toute la toile de fond. Ainsi, il est difficile de rester insensible à la présence ténue des Eldren tout au long du roman, cette civilisation mystérieuse qui a bâti la ville avant l’arrivée des humains et l’a dotée de ses structures en Verre d’Antan, avant de disparaître et nous donner ainsi l'envie d'en apprendre plus. Pour ce qui est des personnages, la bande des Salauds Gentilshommes est vraiment davantage présentée comme une famille que comme une simple bande de voleurs, et c’est ce qui fait sa force. Locke, aussi menteur que le laisse suggérer le titre, allie détermination, ruse, capacité d’improvisation incroyable ainsi que sensibilité, mélange très intéressant à suivre avec un point de vue plutôt immersif. Il en est de même pour Jean, particulièrement dans les passages qui lui sont consacrés, avec son petit côté Maman du groupe et garde-fou de Locke. La relation entre Locke est lui est très touchante. J’avais craint que les jumeaux Sanza - Calo et Galdo -, ne rentrent dans le cliché des vrais jumeaux facétieux qui complètent les phrases l’un de l’autre et n’existent pas séparément, mais le trait n'a heureusement pas été poussé à l’extrême et reste réaliste, d’autant qu’ils agissent vraiment séparément à certains moments. Quant au jeune Moucheron, beaucoup plus mature que son âge ne le laisserait transparaître, il sait se montrer attachant, même si je n’ai toujours pas compris comment il a pu accomplir son saut de l’ange au début et n’en récolter qu’une douleur à la langue. J’ai beaucoup apprécié le père Chains également, le chef original de la bande, dans son humour et sa franchise, autant que dans sa philosophie de formation des Salauds. Sabetha, la seule femme du groupe, est toutefois la grande absente du roman, mentionnée en vadrouille dans les interludes comme dans les chapitres présents. On dit même dans un interlude qu’elle est repassée faire un coucou depuis le précédent. Cela est dommage dans un roman où, partout ailleurs, les femmes occupent sans problème des rôles égaux aux hommes, mais cela semble également bien trop volontairement mis en scène pour qu’il n’y ait pas une raison derrière. J'espère personnellement que les tomes suivant viendront apporter une justification valable à cela. Le Roi Gris et son acolyte ne sont pas dénués d’un certain panache, tout en restant toujours entourés d’une brume qu’ils se plaisent à entretenir en dissimulant jusqu’au bout leurs motivations, cela ne les rend que plus menaçants. Enfin, je ne peux finir sans mentionner Donna Vorchenza, un personnage qui a su me séduire dès le début, avant même que je ne découvre ce qu’elle pouvait faire avec des aiguilles à tricoter. Une des plus puissantes dames de la ville dans sa haute tour, elle manie avec brio ses différents masques, tout en demeurant humaine derrière eux.

    En un mot, je ne regrette donc pas du tout de m’être laissée tenter : cette histoire m’a captivée de bout en bout tant pour l’univers, les personnages et l’intrigue. À mon tour, je le recommande si vous aimez la fantasy ou, de manière générale, si vous souhaitez découvrir cette belle, mais dangereuse, cité qu’est Camorr.

note

Un vol palpitant au milieu d’ennuis encore plus grands

Imprimer E-mail