PROTÉINES

 

Claire Ygell

 

livre

« Comment se nourrir ? interrogea solennellement le président Nielsen en ouverture du conclave. La question est désormais incontournable. La réponse engagera notre avenir. »

 Publication de l'imaginaire

 

Anticipation     dystopie

Adulte

 

   C’est toujours notre monde, ou presque. Les Etats-nations de l’Europe se sont regroupés sous la bannière de l’Union, dirigée par un gouvernement fédéral. Dans une forteresse occidentale, Rodin Volk, citoyen de l’Union, officier d’élite de l’Armée fédérale, commandant de l’Oculus, attend son jugement. Face à la crise planétaire, l’Europe, au bord du chaos, a officialisé un nouveau système alimentaire basé sur une nouvelle législation : le Code Protéine.

   Un tournant dans l’évolution de l’humanité où le cannibalisme devient institutionnel. Dans ce futur où l’humanité s’enfonce, seul un amour défendu vient éclairer le récit.

Critique par Chloé M. R.

 

    Ma rencontre avec cet ouvrage n’avait rien d’un hasard puisqu’il s’est glissé dans ma pile à lire avec l’étiquette "service presse". Je l’ai accepté parce que son résumé laissait présager une œuvre intéressante aux thèmes forts, bien que, pour être tout à fait honnête, la mention d’un amour défendu venant éclairer le récit m’avait un peu refroidie : j’en imaginais déjà les ressorts les plus évidents et croisais les doigts pour que le roman me donne tort. Ça n’a pas été le cas, et la prévisibilité de cet arc narratif est presque le moindre des problèmes de l’œuvre.

    La première chose qui frappe, c’est le style. Les phrases sont extrêmement courtes ce qui rend la lecture particulièrement hachée et donne donc une impression de lourdeur – à noter que cela se manifeste davantage dans la première partie que dans la suite du roman. Le manque de fluidité est renforcé par des erreurs de syntaxe (oubli de verbe), de ponctuation (oubli systématique du point d’interrogation dans les questions rhétoriques) et par quelques fautes d’orthographe. De tels problèmes laissent à penser que la correction de l’œuvre, attendue pour une publication dans une maison d’édition, est a minima défaillante voire tout à fait absente. Le manque de travail éditorial se ressent aussi dans des éléments relatifs à la construction du roman que toute relecture professionnelle ne peut manquer. De nombreux détails obtiennent ainsi une explication inutilement tardive : le récit évoque une manifestation dont les pancartes sont soudainement rédigées en anglais et ce n’est que cent pages plus loin que l’on apprend l’existence de l’anglo-européen comme langue commune et donc que l’on a la justification de ce changement de langue inopiné, par exemple. Autre problème de construction, plus circonscrit et plus évident, dans la première partie, Rodin et sa famille déménagent plusieurs fois : de la campagne à la capitale, de la capitale au bord de la mer, du bord de la mer à la capitale. Tout ceci entre la page 11 et la page 29. Cela est rendu possible par un va-et-vient entre un présent de narration et les souvenirs du personnage principal, évoqués au passé. Si ce choix peut être pertinent et même intéressant, ici, il n’est qu’un prétexte pour donner un contexte au régime que l’auteur met en place et ne sert donc qu’a créer une très – trop – longue exposition excessivement confuse du fait d’une temporalité particulièrement floue qui n’aide pas les évènements à paraître logiques.

    Cela nous amène au problème le plus important : la mise en place du cannibalisme comme institution étatique. Les justifications données à ceci sont diverses et absurdes. Un premier argument tourne autour de la nécessité d’un apport en protéine, or les végétaux contiennent des protéines, c’est le cas notamment du sorgho, dans lequel court le petit Rodin au début du roman, qui a un ratio de 10g à 12g de protéine pour 100g. Un autre utilise les problèmes climatiques limitant les ressources, or, pour nourrir ces humains d’élevage, il faut davantage de ressources que pour nourrir un végétal. Un troisième affirme la nécessité des protéines d’origine animale – rappelons que seule la vitamine B12 ne peut être obtenue par une alimentation 100 % végane et doit faire l’objet d’une supplémentation (ce que la société décrite dans le roman est largement capable de faire) – or, si on choisit d’accepter cette hypothèse fausse, un élevage de vers de farine sera beaucoup plus rentable qu’un élevage d’humains tant en terme de ressources que d’apport protéinique et, petit spoiler, ils ont des denrées à base d’insectes et d’algues qu’ils refusent de manger parce que gustativement ça ne plaît pas. Dans un contexte de fin du monde, comme c’est supposé l’être, c’est un argument quelque peu léger. D’ailleurs, ce contexte est un problème puisque, première partie mise à part, rien ou presque n’indique que l’humanité est dans une situation extrême : il n’y a aucune pénurie d’aucune sorte, les institutions démocratiques sont parfaitement saines, le commerce est florissant etc. Comme si tout ce qui était arrivé (épidémies, massacres, catastrophes climatiques diverses, extinction d’une majeure partie de la biosphère…) n’avait eu d’autre impact que la création de cette institution autour du cannibalisme. Cet aspect très lisse des choses s’applique aussi au personnage principal ; on a beau s’attacher à ses pas, avoir une focalisation interne et parcourir ses souvenirs, il reste lointain, comme déconnecté. Si cela peut s’expliquer par moment, notamment lorsqu’il est dans son rôle de commandant, cela rend toute forme d’attachement difficile et, de ce fait, l’ensemble des relations amoureuses sonne faux. Que tous les personnages féminins soient réduits à des archétypes – la mère courage, la femme dénaturée par son refus de la maternité, la femme jalouse et méchante, l’incarnation d’une féminité douce et silencieuse – contribue à la fausseté de ces relations ; c’est un peu moins visible concernant les interactions entre les personnages masculins tout simplement parce que celles-ci sont moins appuyées. De plus, l’utilisation d’archétypes contribue à rendre l’intrigue prévisible, aussi bien en ce qui concerne l’évolution des liens entre les protagonistes que celle de l’histoire de manière plus globale. Néanmoins, évoquons pour finir quelques bonnes idées perdues dans cet ensemble trop confus et manquant de développement. Concernant le propos autour du cannibalisme, notons les références précises aux systèmes de déshumanisation qui entourent les futurs produits de consommation et rappellent le nazisme, notons aussi le lien entre les animaux et les humains de batterie, appuyé par un vocabulaire spécifique qui interroge notre rapport actuel à la consommation de produits animaux. Enfin, la mention, très anecdotique, d’une exploitation de la seule face cachée de la Lune pour des raisons esthétiques m’a plu par sa pointe de cynisme.

    Pour conclure, et pour résumer, si le thème à la base du roman est intéressant, le résultat final n’est pas à la hauteur. Les réflexions sont trop confuses et l’ensemble donne l’impression d’une œuvre inaboutie, ce qui est renforcé par un travail éditorial particulièrement mauvais s’il n’est pas tout simplement absent. Je ne peux sincèrement pas conseiller ce livre malgré l’investissement certain de l’auteur qui transparaît dans plusieurs passages.

note

Particulièrement décevant

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