LES GARÇONS PERDUS
C. M. STERN
La lumière, dis-je d'une voix pâteuse.
— Eh bien ? chuchota-t-on à mon oreille.
— Elle tremble.
— Non, souffla Peter, c'est juste votre âme qui vacille.
Littérature de l'imaginaire
Fantastique Gaslamp Romance
Adulte
La beauté est une malédiction. Jack l’a pressenti dès l’instant où, pour survivre à la misère, il a été contraint de vendre ses charmes aux plus rudes butors des bas-fonds londoniens. Mais lorsque son joli minois suscite l’intérêt d’un étrange Immortel, son intuition prend tout son sens.
Face au chantage de ce vampire déguisé en gentilhomme et aux beaux yeux d’un mystérieux dandy nommé Antoine Valoise, Jack n’a d’autre choix que devenir l’instrument d’un complot auquel il n’entend rien. Alors, décidé à recouvrer la liberté, il accepte de séduire un extravagant peintre italien, éminent membre de la société Immortelle. Un projet qui ne peut que réussir, à moins que son attirance pour Antoine ne vienne ébranler sa détermination au risque de tout remettre en question.
Critique par C. Kean
J’ai rencontré Les Garçons perdus quelques temps avant leur publication. J’ai d’abord appris à connaître leurs poids et leurs places dans la vie de leur auteur, en même que le lien à la fois douloureux et passionnel qu'elle entretient avec l'écriture. L'histoire de l'histoire m'avait ainsi destinée à accueillir chez moi un exemplaire de ces Garçons. Le roman est auto-édité par Amazon KDP, et si le travail éditorial est de très belle qualité (sur le texte, la mise en page, l’illustration de couverture, l’identité du roman…), l’objet livre souffre des défauts de ce distributeur et imprimeur : couverture et dos fragiles, pelliculage qui se décolle. Le recours à cette plateforme d’édition s’entend évidemment pour le lancement d’un premier roman, seulement les qualités du texte invitent à rêver d'une réédition qui offrirait un support plus en adéquation avec le plaisir de lecture et le charme sombre de l’univers.
Les premières phrases de C.M. Stern annoncent la tonalité du roman : une rencontre permanente et débattue entre la beauté et la violence. Son écriture en est le miroir et se pare d'une rude élégance et s'engouffre dans ce jeu d'opposition. La préciosité du langage domine, mais la pensée, et la reconstitution d'une Londres victorienne, la colore tour à tour de brutalité, de cynisme, mais aussi de naïveté et de rêveries. Difficile de ne pas se trouver happé par ce vivant parfum d'époque ! Vivant, car la narration est portée toute entière par la voix singulière de Jack, notre héros, dont la recherche d'élévation intellectuelle et de liberté se fondent avec la composition du récit – linéaire, initiatique et porté par la métamorphose de sa position – et dans la construction stylistique du texte. Bien que quelques phrases un peu longues manquent, parfois, du support d'une ponctuation ou d'une structure plus étoffées qui les rendrait plus dynamiques, C. M. Stern maintient une exigence de littérarité qui se déploie aux différentes rythmicités et conflits du roman, sans jamais y sacrifier la fluidité de l'expérience de lecture. Les tournures et le vocabulaire sont soignés, ancrés dans leurs caractères historiques (si ce n'est deux ou trois expressions malheureuses ou décalées), tombant parfois dans quelques excès de jambages, mais jamais dans des travers de compréhension. Ces petites surdoses ne font d'ailleurs qu'ajouter à l'authenticité de la narration ; que serait le dandysme sans ses débordements ? Ainsi, le lecteur se prend ou se surprend d'affection pour ce héros-narrateur, aux prises avec ce qu'il est et ce qu'il devient, ainsi qu'avec l'esprit et à la maîtrise des personnages qu'il rencontre. Cela s'en ressent dans des dialogues justes et pertinents. Ils ne relâchent rien des tensions stylistiques et dramatiques, mais reflètent la complexité des caractères qui tour à tour s'y opposent et s'y rejoignent. Avec une forme de flegme, ou bien avec urgence, les enjeux s'y écharpent ou s'y lovent, à la lisière du danger qu'ouvre chaque maniement de répartie, d'insulte ou d'aveu.
Les Garçons perdus, c'est donc l'histoire de Jack et de sa perdition. Contraint, sous les menaces villageoises tout autant que par sa propre volonté, de quitter sa campagne natale, il se confronte bien vite à la dureté et à la misère des bas-fonds londoniens. Il y découvre et accepte une vieille évidence : certains sont prêts à payer cher pour le bénéfice de la beauté. Mais ce n'est pas ici que Jack se perd, c'est ensuite. Lorsqu'il découvre que ceux qui payent le mieux sont aussi des prédateurs, créatures de la nuit fascinantes par leurs charmes, leurs passions, leurs dangerosités. Et il devient bien vite difficile de garder la tête froide lorsque le foudroiement d'un sentiment amoureux survient. L'intrigue s'articule principalement autour des manipulations dont Jack devient l'objet et dont il tente de saisir les enjeux et les acteurs, alors que s'y entremêle la naissance d'un amour douloureux. C.M. Stern est parvenu à doser subtilement ces deux axes du récit, tout autant qu'à les intriquer efficacement. Ainsi, à mesure que les manigances et complots politiques de la société des Immortels se dévoilent, les tensions internes et relationnelles des personnages s'exacerbent vers le supplice ou l'extase. Encore une fois, la réussite de ce roman, de son histoire et de son esthétique tient à cet embrassement amoureux et terrible des contraires. A ce propos, l'auteur ne cache pas ses inspirations avec, entre autres, Anne Rice et l'univers du Monde des Ténèbres, et il est vrai que c'est avec plaisir que je me suis fondue dans cette réécriture de la figure du vampire, complexe, élégante, politique et monstrueuse. Les Immortels des Garçons Perdus sont soumis à leur condition, en affrontent les contraintes (qui ajoutent au crescendo dramatique), tout en composant avec les règles explicites ou tacites de leurs sociétés secrètes. Les vampires de C.M. Stern sont ainsi perdus. Non pas aux désirs des autres, comme l'est Jack au début du récit, mais perdus en leurs propres passions : on y rencontre un peintre maniaque, un amant furieux, un sinistre maître des secrets... Le personnage d'Antoine diffère cependant, et c'est sur ce point particulier, je crois que sa rencontre avec Jack éclot, puis croit jusqu'à la transgression : privés de leurs désirs, ou n'y ayant jamais eu accès, ils s'entraînent l'un l'autre à la (re)conquête de ce pouvoir. Un tiraillement de plus, au milieu des imbrications fantastiques et politiques du roman. Par ailleurs, dans le développement de ses personnages, si quelques facilités demeurent, notamment autours des personnages féminins qui sont esquissés mais restent à la marge, la narration à la première personne s'avère intéressante dans son ambivalence. S'il est prompt au jugement, obstiné comme il l'avoue et le revendique, Jack est aussi capable de souligner les failles qu'il observe et ses attendrissements. Cela se fait souvent en décalage avec le lecteur, qui aura déjà eu un recul et une vision différente des personnages qui lui sont présentés. Mais loin de faire distance ou rupture, ce décalage permet à Jack de rester, lui aussi, un personnage plein et entier, que l'on côtoie, auquel on s'attache, mais qui ne cède pas aux sirènes de l'identification lisse ou de la séduction facile. Par son poids de vue, C.M. Stern nous offre une profondeur narrative et psychologique appréciable des figures singulières et ambiguës de son roman. Cette construction élégante de l’intrigue, de l'univers et des personnages s'accompagnent d'un soin particulier apporté au décor. Les lieux, les objets, les détails des gestes sont accompagnés de descriptions brèves, vivantes et précises. C.M. Stern sait poser un cadre et une atmosphère, connaît le regard de son narrateur, et parvient sans peine à y inviter son lecteur. L'expérience s'avère exquise et dépaysante, que ce soit à la Serre, dans les halls d’hôtel, à Paris ou à Londres. Bien calibré, le récit ne souffre pas de longueurs, mais peut-être parfois de rapidités. Notamment à la fin, où les actions semblent s'enchaîner plus vite que la narration ne peut les penser. Cela n'empêche pas le récit de se conclure, et ce n'est pas sans lien avec l'intrigue elle-même, mais cela crée une sorte de souvenir vague des derniers chapitres et de leurs révélations. Il y a un petit goût de « pas assez », en même temps que l'auteur ouvre une porte sur la suite de l'exploration de son univers, ainsi que du passé et de l'avenir de ses Garçons perdus, ou peut-être retrouvés.
À travers ce premier roman, C.M. Stern revisite avec originalité et nostalgie les romans de vampires, s'appropriant ses thématiques originelles (l'amour, la monstruosité, la soif, le désir) tout en les nourrissant d'un univers envoûtant et de personnages en clair obscur, à la fois familiers et nouveaux. S'y mêle comme il se doit beauté et terreur ; une subtile alchimie que l'on espère retrouver prochainement chez cette auteur à suivre.
Envoûtant