LE MIROIR DES COURTISANES

 

Sawako Ariyoshi

 

livre

Le passé de sa mère, se dit Tomoko, était tout entier dans cette commode. Ce passé qui faisait obstacle à son bonheur.

 Littérature générale étrangère

 

Récit de vie     Historique     Littérature japonaise Shōwa    Roman-fleuve

Adultes 

 

   A dix ans, Tomoko est vendue par sa mère à une maison de geishas. Sa beauté et son intelligence lui permettront d’échapper à la prostitution mais le monde « des saules et des fleurs » ne tardera pas à révéler l’impitoyable cruauté que dissimule son apparente frivolité. Tomoko, petite fille intelligente et malheureuse, femme-fleur attachante de droiture et d’authenticité, enfin femme mûre et obstinée dont la réussite sociale n’a pas durci le cœur, suscite sympathie et admiration.

Histoire d’amour, de haine et de jalousie entre une fille et sa mère ; deux destins croisés de femmes dans une société japonaise dominée par l’argent et le pouvoir des hommes, monde impitoyable où il n’est pas de salut hors du mariage et de la maternité.

Critique par Chloé M. R.

 

    J’avais entendu parler de ce roman il y a longtemps et avais alors scrupuleusement noté son nom dans ma liste d’envies, liste où il est resté un long moment, jusqu’à ce que je l’oublie puis le retrouve. J’avais alors besoin de dépaysement et pénétrer dans le monde de la courtisanerie japonaise du XXe siècle m’a semblé une excellente idée. Je n’ai donc pas voulu me renseigner plus avant et, un détour chez ma libraire plus tard, j’ai plongé dans ma lecture.

    Dès le début, on s’attache aux pas de Tomoko qui sera le fil conducteur de l’histoire puisque c’est son point de vue qui sera essentiellement développé, à l’exception de quelques incises venant d’un narrateur omniscient. Ces incises sont plus particulièrement présentes dans la première partie de l’histoire afin d’offrir au lecteur une vision plus précises des situations, l’analyse de Tomoko enfant n’étant alors pas suffisante. La focalisation interne permet au récit d’être plus incarné et, puisque l’essentiel du roman consiste en des analyses psychologiques, cela les met en valeur tout en évitant l’écueil d’une forme d’artificialité et de manichéisme dans les relations entre personnages. De plus, ce choix permet de mieux suivre son évolution à travers les années le roman se déroulant durant près d’un demi-siècle. Pour parvenir à condenser autant de temps en quelques cinq cents pages, l’auteur fait, entre les chapitres, des ellipses parfois inattendues et reste assez flou quant au passage du temps ; cela peut-être un peu déstabilisant au début, mais il est aisé de s’y habituer. Ainsi, elle prend le temps d’insister sur les saisons, soit par la végétation soit par les doublures des vêtements, pour évoquer l’année qui avance au sein du chapitre. Les changements plus importants sont, quant à eux, mis en avant par les nouveaux motifs et les nouvelles couleurs des kimonos. Cette attention portée aux détails est assez classique pour un roman japonais, mais elle se double ici d’un jeu de symbolisme propre à cette œuvre et à ses personnages.

    L’importance accordée aux vêtements est, ici, bien sûr liée au monde de la courtisanerie que le roman dépeint ; chaque changement de statut de Tomoko s’accompagnera d’un changement dans sa coiffure, dans sa tenue et dans son nom. Néanmoins, je préfère vous prévenir, seule une partie du livre se concentre sur le monde "des saules et des fleurs", une autre décrit les conséquences d’avoir appartenu à celui-ci et les liens qui subsistent avec lui malgré tout. En outre, bien davantage qu’une description des quartiers réservés et de la vie qui s’y mène, le roman s’intéresse aux relations humaines. Les relations entre Tomoko et sa mère sont ici centrales ; haine et amour se disputent le cœur de la jeune fille selon les événements, les folies de l’une et les révélations de l’autre. Ces va-et-vient sont parfaitement décrits, toujours parfaitement justifiés et, à mon sens, l’un des grands talents de cette œuvre est de faire exister ce personnage de mère aussi ambivalent au travers des yeux de sa fille. D’autres types de relations sont aussi évoqués et analysés, notamment les relations amoureuses qui posent la question des dynamiques de couple et notamment de la place du pouvoir en leur sein – question que pose d’ailleurs aussi les liens filiaux. Enfin, ce roman permet aussi de glisser la petite histoire dans la grande puisque c’est au travers des yeux d’une patronne d’établissement que l’on voit les ravages du grand tremblement de terre de Tokyo ou les difficultés que provoquent la mobilisation des hommes pendant la guerre. Cela donne une nouvelle teneur à ces événements que l’on perçoit autrement souvent comme désincarnés.

    J’ai personnellement beaucoup aimé ce roman bien que je m’attendais, au vu du résumé, davantage à lire l’histoire d’une Geisha que celle d’un relations mère-fille compliquée. En toute transparence, si c’est le monde "des saules et des fleurs" qui vous intéresse avant tout, je ne suis pas certaine que vous appréciiez l’ensemble du récit et peut-être vaudrait-il mieux passer votre chemin. Par contre, si vous cherchez à découvrir un roman psychologique dense avec des relations interpersonnelles complexes, vous êtes au bon endroit. De même, si vous souhaitez découvrir un peu mieux le Japon et sa culture, cette œuvre peut vous intéresser, et elle reste très accessible même si vous ne connaissez rien de ce pays ou de sa littérature. En somme, je vous encourage vivement à lire ce roman mais ne vous fiez pas trop à son résumé qui est plutôt partiel.

note

une fine analyse

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