JE SUIS TON OMBRE
Morgane Caussarieu
Je pige pas, vraiment pas. Ça me fout un coup. Je pensais pas que lire, ça pouvait vous chambouler le ventre à ce point. Peut-être parce que je crois bien que c'est vrai tout ça, même si c'est hard à gober.
Littérature de l'imaginaire
Fantastique Horreur
Adulte
Le Temple, petit village du Sud-Ouest, ses plages, ses blockhaus, son unique bistro, son école où la violence est le seul remède à l’ennui. Poil de Carotte y vit seul avec son père handicapé. Gamin perturbé aux penchants sadiques et souffre-douleur de ses camarades de classe, sa vie bascule lorsqu’il se rend dans une ferme calcinée en lisière de forêt. Des fantômes y rôdent, paraît-il.
Mais en lieu et place de revenants, il découvre un étrange journal rédigé par des jumeaux, il y a trois cents ans. Leur vie sauvage et heureuse à La Nouvelle-Orléans tourne au cauchemar lorsqu’un marquis décadent les prend à son service. Plus Poil de Carotte avance dans sa lecture, plus des événements étranges surviennent: un chat noir qui parle, une voix qui lui chuchote la nuit à l’oreille, un enfant au teint trop pâle et aux lèvres trop rouges… Et s’il avait réveillé des forces aussi malsaines qu’attirantes ?
Critique par Lise M.
Ayant découvert l’auteur avec son premier roman, Dans les veines, j’avais de nombreuses attentes concernant ce spin-off qui dévoile le passé d’un personnage, Gabriel, à mesure que Poil de Carotte le découvre.
Le style d’écriture adopté par l’auteur alterne les particularités propres à chaque narrateur : tantôt le langage familier, plein de fautes de français de Poil de Carotte, tantôt celui fluide et très littéraire des jumeaux. L’un comme l’autre, le style est maîtrisé sans le moindre écart, plongeant un peu plus le lecteur dans chacun des univers qui se côtoient et permettant l’un comme l'autre de comprendre, ressentir et partager le malaise et la souffrance des personnages. Cette différence dans le style d’écriture adopté contribue à créer une dualité dans la dynamique, puisque tout est conté du point de vue interne. Lorsque Poil de Carotte est le narrateur, le rythme est saccadé par un enchaînement de phrases courtes, parfois même d’un seul mot ; en revanche lorsqu’il s’agit du journal des jumeaux, une certaine langueur, inhérente à la chaleur humide du bayou, est suggérée. Les dialogues criants de vérité sont bien dosés, apportant un équilibre avec les parties narratives, parfois même introspectives des personnages. Le contraste entre la narration au présent de Poil de Carotte et celle, au passé, du journal des jumeaux, est accentuée par le vocabulaire employé en accord avec l’époque, l’éducation et le vécu de chaque personnage. Le passage en italique lorsqu’on plonge dans le journal intensifie la mise en abyme, comme si l’on déchiffrait le carnet par-dessus l’épaule de Poil de Carotte.
La double intrigue est rondement menée et l'épilogue apporte un éclaircissement qui peut surprendre sur les différents éléments laissés volontairement flous au cours du récit : un véritable aboutissement qui manque à de nombreux récits de ce genre. Tout comme dans son premier roman, l’auteur dépeint sans fard la choquante réalité de la perversion humaine, qu’elle passe par la violence, le sexe, voire les deux. Les personnages sont intéressants et travaillés, leur psychologie fouillée. L’histoire dérange par sa vraisemblance et le malaise ambiant, incessant. C’est encore une fois aux parts les plus sombres de la société, les plus tabous, les moins abordées, que s'attaque le roman. Beaucoup moins gore que ce à quoi Morgane Caussarieu nous avait habitués avec Dans les Veines, Je suis ton ombre présente une violence morale plus subtile et une violence physique parfois suggérée. Toutefois, dans les quelques scènes où elle est explicitement développée, le lecteur n’est aucunement épargné et la lecture peut être difficile, d’autant plus qu’elle est souvent dirigée vers des êtres innocents et systématiquement vue à travers les yeux de celui qui en est responsable. Le procédé nous rapproche obligatoirement de celui qui commet des actes des plus atroces, accentuant encore le malaise. De plus, il est impossible de ne pas évoquer le brio avec lequel l'auteur nous entraîne au cœur du bayou ou dans les riches plantations bordant La Nouvelle-Orléans. Avec un style très visuel, l’auteur sait restituer l’atmosphère moite, dangereuse et attirante de la Louisiane des années 1720, comme si elle s’y trouvait et y entraînait le lecteur ! C’est un véritable plaisir pour les mordus de bayous, respectueux du contexte historique. On y retrouve commerce triangulaire, esclavage et perversion des plus aisés, rappelant certains épisodes parmi les plus monstrueux de l’histoire de la ville. Enfin, la vision des vampires, à la fois classique et novatrice, est fidèle à celle présentée dans Dans les veines, notamment pour tout ce qui concerne l’origine de ces créatures.
Avec Je suis ton ombre, Morgane Caussarieu nous livre un récit plus subtil, mais plus dérangeant que son premier roman, et sans aucun doute meilleur encore. Ce fut un plaisir de retrouver sa plume d’une précision chirurgicale pour ce roman à apprécier avant, après ou indépendamment de Dans les veines, accompagné, bien entendu, d’un petit verre de sang !
mortel