LA HORDE DU CONTREVENT

 

Alain Damasio

 

livre

Nous sommes partis d'Aberlaas, Extrême Aval, il y a 27 ans maintenant. Nous avions 11 ans. Et nous ne nous sommes jamais retournés.

 

Littérature de l'imaginaire

 

Science fantasy     Suspense

Adulte

 

   Ils sont vingt-trois, forment la trente-quatrième Horde du Contrevent et ont entre vingt-sept et quarante-trois ans. Dans un monde balayé par les vents, ils ont été formés depuis l'enfance dans un seul but : parcourir le monde, d'ouest en est, de l'Aval vers l'Amont, à contre-courant face au vent, à travers la plaine, l'eau et les pics glacés, pour atteindre le mythique Extrême-Amont, la source de tous les vents.

   Tous différents mais tous unis, ils forment une horde autonome et solidaire, qui avance dans un seul objectif, luttant constamment contre le vent. Profitant du savoir et de l'expérience de huit siècles d'échecs, on la dit la meilleure et l'ultime Horde, celle qui atteindra enfin l’Extrême-Amont. e

Critique par Julie V.

 

    Un bouche à oreille exceptionnel, voilà ce qui m'a conduit à lire ce livre : au théâtre, une amie comédienne s'exclamait « qu'on vienne pas me dire après que la science fiction n'est pas de la littérature. », dans mon entourage, une autre offrait les livres de Damasio en promettant un vrai moment de plaisir... Il était temps pour moi de m'y mettre. Et c'est sans regret.

    Attention âmes sensibles, le style est un peu surprenant, car l'histoire est contée par vingt-trois personnages, tous représentés par des symboles. Il faudra donc au début vous munir du marque-page qui vous rappelle quel personnage il s'agit - ou d'utiliser les liens sur votre liseuse. C'est au départ un peu contraignant, tout en étant terriblement exaltant, mais les mêmes revenants à chaque fois, votre mémoire s'y fait vite. Autre soucis, au premier chapitre, il est difficile de comprendre ce qu'il se passe, ou presque. Un peu à la manière de Stephen King dans Marche ou crève, nous savons juste qu'un groupe marche sans se retourner et affronte des tempêtes dans un monde où le vent a clairement repris ses droits, mais n'ayez crainte, les choses se dénouent très vite par série de récits rétrospectifs des protagonistes. Quant au style, j'ai redécouvert notre belle langue française ! Certes, j'ai aussi béni le dictionnaire pour m'expliciter certaines choses, ou m'assurer que certains mots n'étaient pas de l'invention de l'auteur, mais j'ai eu l'impression de n'avoir pas lu quelque chose d'aussi bien écrit depuis un moment. Chaque narrateur a son style propre, des tournures arbitraires de Caracole à la vulgarité de Golgoth, en passant par la syntaxe douteuse d'Erg ou par la parole, agréable et fluide, de Sov. L'alternance de style est bluffante et confère à l'histoire un très bon rythme, qui vous fait défiler les pages en un rien de temps ! Descriptions et dialogues se côtoient amoureusement sans jamais provoquer l'ennui, toujours au service de l'intrigue : un vrai plaisir. Certains passages sont compliqués et il est difficile de tout comprendre, l'aventure se teintant souvent d'une coloration philosophique et scientifique : mais j'ai particulièrement apprécié de suivre les conversations "scientifiques" et sérieuses à travers le point de vue d'un personnage qui n'y comprenait pas grand-chose. Le dialogue pointu est restitué dans sa totalité, mais aucune culpabilité de ne pas tout saisir, quand Larco dit lui-même ne rien comprendre. La compréhension de cet univers peut être lacunaire et cela peut frustrer, cela n'enlève rien au plaisir de la lecture, un pari fort bien réussi !

    Mais venons-en à l'histoire... Ils sont un groupe entier et ils marchent contre le vent. On s'effraie un peu dès les premières pages, craignant de les voir "contrer" éternellement au fil des six cents pages. Mais non, les paysages et les humeurs varient, l'imagination de l'écrivain n'a pas de limites : plaines, lacs, et montagnes, mais aussi moments de rencontres et d'interactions avec des personnages hors de la Horde nous permettent de mieux connaître ces personnes sans âge, qui semblent être restés les mêmes pendant vingt-sept ans. Maître du suspens, Damasio nous révèle seulement par bride des éléments de vie de chacun et chaque page nous apporte un nouveau lot d'information et de surprise, qu'on l'attende ou non. Les ellipses narratives ne sont pas sans surprendre (un chapitre peut commencer sur les quelques minutes suivant la fin du dernier, comme sur deux années plus tard) mais réactivent sans cesse l'intrigue. Nos vingt-trois hordiers sont bien construits et respectent leurs tempéraments, leurs relations les uns aux autres, du début à la fin. La quête se fait parfois oublier tant notre attention se porte sur le fonctionnement de ce monde que l'on comprend difficilement, ou sur les histoires individuelles de chaque personnage. Notre lecture est une lecture dynamique, réfléchie et loin d'être reposante, c'est ce qui fait tout l'attrait de ce livre et sa richesse. La fin vous laisse un goût amer et nostalgique, comme lorsque vous finissez une série que vous suivez pendant des années, tant il est difficile de se détacher de cette Horde au bout de six cents pages de marche commune.

    Bref, l’un des meilleurs roman du genre qu'il m'ait été donné de lire, tant par son style impeccable que par son intrigue déroutante et passionnante. Une lecture difficile, mais tellement stimulante, que je recommande aux aventuriers et aux amoureux de la langue, que vous soyez amateurs de littérature de l'imaginaire ou non : du moment que vous survivez au premier furvent, vous faites partie de la Horde jusqu'au bout.

note

Grandiose !

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