GARÇONS DE CRISTAL

 

Xianyong Bai

 

livre

Ce qui nous est commun, c’est un corps en proie à l’insoutenable torture de brûlants désirs, un cœur souffrant à la folie de la solitude.

 Litérature générale étrangère

 

Récit de vie     Contemporain       Littérature taïwanaise

Adulte

 

   Notre royaume ne connaît que la nuit noire. Il ignore le jour. Mais dans ce minuscule pays des plus secrets, des plus illégitime qui soient, se sont produites nombre d’histoires douloureuses, pleines de vicissitudes, à pleurer, à chanter… De certains, on avait perdu la trace très tôt ; d’autres, morts prématurément, ne laissaient que leurs tombes, couvertes d’herbes folles. Mais il y en avait qui, brusquement, réapparaissaient sur la rive du bassin aux lotus en fleur par une nuit aussi noire que profonde, cinq ans, vingt ans plus tard. « C’est toujours la même chose ! Vous imaginiez le monde extérieur immense ? Vient un jour, un jour qui ne manque jamais d’arriver, où vous revenez bien gentiment voler vers notre vieux nid bien à nous. »

Dans le monde des « garçons de cristal », les homosexuels font commerce de leur corps dans le Taipei des années soixante-dix. Pourtant, leur quotidien âpre et poignant s’éclaire d’une lumineuse fraternité.

Critique par Chloé M. R.

 

    Lorsque j’ai entendu parler de ce livre pour la première fois, j’ai été intriguée malgré quelques réserves : l’œuvre cumulait des thématiques problématiques et je craignais que leur traitement soit trop éloigné du réel ou, au contraire, trop emphatique, que l’ensemble manque de justesse et d’équilibre. Ce sont les premières lignes qui m’ont finalement convaincue, réalistes et poétiques, douces et amères à la fois. Peut-être que ce roman réussirait à trouver ce point de balance que je n’osais trop espérer.

    Commençons par aborder frontalement ces thématiques problématiques, à l’image du récit lui-même. Nous suivons le quotidien de jeunes garçons, très jeunes puisque certains ne paraissent pas avoir plus de douze ans, qui ont fugué ou ont été jetés à la rue par leurs familles et ont fini par se prostituer auprès d’hommes – nettement – plus âgés. Le sujet n’est pas caché, mais il n’est pas non plus particulièrement appuyé ; pour les enfants, c’est un travail comme un autre ou presque et, à ce titre, il a autant d’importance que le travail de vendeur que l’un d’eux obtiendra, mais pas davantage. De même, aucune relation sexuelle n'est développée ; évoquée, oui, décrite, non. Au fond, c’est tout un monde qui se dévoile dans ce roman, un monde fait de figures tutélaires, comme le vieux photographe et ses photos des garçons de cristal, de lieux emblématiques tel le jardin public où se retrouvent toujours les enfants, et de mythes fondateurs, notamment la légendaire histoire de Dragon et Phénix qui semble hanter les lieux aussi bien que les êtres. Ce monde est d’ailleurs perçu au travers d’une bande d’amis dont on suit le quotidien et les rêves avec une sincérité déconcertante. Il y a une solidarité et une affection qui transparaissent de leurs dialogues et de leurs actions ; cela illumine l’ensemble du roman qui, dès lors, ne semble plus avoir la prostitution que comme un contexte pour étudier les relations humaines et la capacité des hommes à recréer une société.

    Pour ce faire, l’auteur choisit d’utiliser des chapitres assez courts qui permettent de développer une scène précise qui ne donne alors à voir qu’un seul aspect de ce monde. Cela peut déconcerter quelque peu, au début surtout, d’autant que certaines de ces scènes contiennent des analepses que l’on a un peu de mal à situer chronologiquement lorsque l’on ne connaît pas encore bien les personnages. Néanmoins, celles-ci ne sont jamais gratuites, et le moment choisi pour leur apparition les rend toujours très signifiantes. De manière générale, la temporalité du roman est particulièrement maîtrisée ; j’ai d’ailleurs beaucoup apprécié le travail qui a été fait quant au récit de l’une des légendes qui parcourt le jardin. Par ailleurs, il faut souligner une véritable volonté de montrer Taipei : on donne des noms de rues, de restaurants, des collines et des quartiers ; les enfants s’y déplacent volontiers et la ville devient presque un protagoniste complice de leurs histoires. Néanmoins, c’est à double tranchant : cela crée un effet de réalisme très réussi et rend le récit dynamique, mais pour un lecteur ignorant comme je l’étais, cela peut rapidement devenir confus, d’autant que le traducteur a choisi de traduire tous le noms chinois et qu’ils paraissent inhabituels à des oreilles européennes – citons ainsi le restaurant du Printemps de la Source aux Pêchers. Cette question de traduction se pose d’ailleurs aussi pour les noms : certains sont – plus ou moins heureusement – traduits comme Petit-Jade, d’autres ne le sont pas comme Aqing et d’autres, plus marginaux, le sont seulement à moitié comme Impertinence Zhao. Néanmoins, si cette ambivalence est perceptible, il est aisé de passer outre grâce à la vivacité du récit dans son ensemble.

    C’est un livre que j’ai beaucoup aimé dans l’ensemble et que je trouve extrêmement intéressant dans sa manière de traiter les thèmes qu’il aborde. J’ai aussi apprécié la traduction très fluide et parfois très belle qui a été proposée par André Levy. Il reste toutefois difficile de recommander cette œuvre à tout le monde du fait de son sujet, mais si vous avez été intrigué, laissez-vous tenter : c’est un beau roman, aussi étrange que cela puisse paraître.

note

Aussi âpre que délicat

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