DUNE
LE CYCLE DE DUNE I
Frank Herbert
Ce monde peut aussi être hideux.
Littérature de l'imaginaire
Science fantasy Récit initiatique
Adulte Adolescent
Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planète plus inhospitalière que Dune. Partout, des sables à perte de vue. Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert, et que tout l’univers convoite. Quand Leto Atréides reçoit Dune en fief, il flaire le piège. Il aura besoin des guerriers Fremen qui, réfugiés au fond du désert, se sont adaptés à une vie très dure en préservant leur liberté, leurs coutumes et leur foi. Ils rêvent du prophète qui proclamera la guerre sainte et changera le cours de l’Histoire.
Cependant, les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent leur programme millénaire de sélection génétique : elles veulent créer un homme qui réunira tous les dons latents de l’espèce. Le Messie des Fremen est-il déjà né dans l’Empire ?
Critique par Chloé M. R.
Dune, l’incomparable. Entre ce roman et moi, c’est l’histoire d’une rencontre presque manquée. A plusieurs reprises, je l’ai croisé, j’ai été intriguée et pourtant c’en était resté là. L’exemple le plus marquant est que voulais lire le roman avant de voir le film de Denis Villeneuve, résultat, près d’un an après sa sortie, je n’avais toujours rien lu ni rien vu. J’ai fini par voir le film et, s’il était au demeurant fort sympathique, je n’avais pas compris l’intérêt que pouvait susciter la saga littéraire en la percevant à travers cette adaptation. J’ai donc, plusieurs mois plus tard, fini par arriver devant le rayon science-fiction de ma librairie d’occasion préférée pour me trouver face à des dizaines de livres estampillés Dune, certains avec des numéros, d’autres sans, le même titre n’ayant pas forcément le même numéro selon son édition, le tout dans un immense bazar où même les auteurs semblaient se croiser au hasard. Je battis donc en retraite, un peu abasourdie. On m’avait déjà parlé de la complexité du Cycle de Dune, mais qu’il me faille faire des recherches ne serait-ce que pour tenir entre mes mains le premier tome, voilà qui relevait d’un tout autre niveau de difficulté. Quelle idée, aussi, de mettre ce mot à toutes les sauces, dans tous les titres et dans tous les cycles qu’ils aient ou non été écrits par l’auteur originel. Ma patience et mon obstination ont néanmoins été rapidement récompensées, et je repartais avec la très jolie couverture - signée Aurélien Police - de mon premier tome sous le bras. Voilà comment j’entamais ma lecture avec un peu d’appréhension, vaguement échaudée par l’aspect tentaculaire de la saga et par sa réputation d’œuvre monstrueusement complexe.
Dès les premières pages, on trouve ce roman particulièrement accueillant, sans doute parce qu’à l’instar de Paul, nous sommes mis face à une situation inconnue. En effet, il est difficile de comprendre le sens de cette première rencontre avec la Révérende Mère et tout ce qui est évoqué, mais c’est une difficulté qui est voulue, qui est nécessaire. Il en sera d’ailleurs de même dans l’ensemble de l’œuvre : les moments d’obscurité, les temps d’inconnu ne sont jamais gratuits, ils sont le reflet de l’appréhension, d’abord, puis de la découverte d’autres mondes, d’autres cultures. Même si cela peut déstabiliser le lecteur, notamment lorsque les personnages emploient un langage ou des mots inconnus, le contexte permet presque toujours d’en comprendre le sens – et pour les quelques éléments qui resteraient encore en suspens, l'édition de chez Robert Laffont propose un lexique dans les dernières pages. Par ailleurs, d’autres éléments restent volontairement mystérieux, c’est notamment le cas de tout ce qui entoure la Missionaria Protectiva par exemple ; il n’y a pas d’explications détaillées parce que celles-ci n’ont pas lieu d’être : la scène est vécue selon le point de vue d’un personnage qui en connaît déjà les arcanes, dès lors, ne pas en donner les détails ne fait que renforcer le réalisme de cet instant. Ainsi, la plupart des reproches que l’on peut entendre concernant une inutile complexité de l’œuvre a trait à une volonté réaliste : les personnages ont plusieurs noms, plusieurs titres, selon leurs appartenances, parce que les peuples n’ont pas le même vocabulaire ou les mêmes croyances. Il est intéressant de voir que ce que certains considèrent comme inutile me semble au contraire nécessaire. C’est par cette attention au détail que passe la grandeur de l’œuvre, tout autant que par ses thématiques.
Tout le roman est parcouru par des thèmes très forts qui structurent et influencent ses personnages. Le premier d’entre eux est bien sûr la découverte de l’altérité et tout ce qui suit cette découverte. La tension entre soi et les autres, la remise en question de ses croyances, la recherche d’un point d’équilibre dans les rapports entre les peuples, l’évolution que cela suppose, etc. voilà tous les grands axes qui structurent le récit. Deux autres thèmes s’entremêlent dans le roman et sont, pour beaucoup, dans sa réputation de chef d’œuvre difficile d’accès : la politique et la religion. Ces deux aspects sont fondamentalement liés puisque nombre d’intrigues politiques se basent sur des croyances et que les personnages religieux ont une force politique et militaire. Ils sont abordés par le biais de la cristallisation d’un conflit autour de Dune : plusieurs factions, et donc plusieurs plans, se heurtent et, si l’on en connaît déjà certains et que l’on en devine d’autres, il n’en reste pas moins que l’on assiste à l’achèvement de réflexions qui se déroulent depuis plusieurs années, voire plusieurs générations. Il est donc normal que tout ne soit pas dit et que tout ne soit pas non plus immédiatement perceptible. Néanmoins, même sans avoir une compréhension fine de tous les détails, l’essentiel est accessible pour tout lecteur attentif, d’autant que certains chapitres se passant en dehors de Dune éclairent volontiers ces questions politiques. Le dernier thème essentiel est celui du destin et il est présent dès les premières pages avant de prendre de plus en plus d’ampleur à mesure de la progression du roman. Les personnages essayent de lutter contre ou, au contraire, s’y soumettent et, là encore, au fil du temps, la réflexion sur la question de ce que signifie véritablement la prédestination et l’avenir se développe et progresse. En outre, la présence du fatum dès les premiers chapitres donne une profonde densité à l’œuvre et tend à rappeler le traitement de cette thématique par les tragédiens grecs ; c’est d’ailleurs renforcé par toutes les épigraphes, nécessairement postérieures aux évènements, placées en tête de chapitre.
Ainsi, prétendre que Dune n’est pas une œuvre complexe serait mentir, néanmoins cela ne veut pas dire illisible, au contraire même ; s’il est nécessaire que le lecteur soit attentif, notamment aux potentiels doubles-sens des dialogues politiques, l’ensemble reste tout à fait accessible. De même, si réduire ce roman à un simple divertissement sans plus serait une maladresse, il n’en reste pas moins, aussi et entre autres, un divertissement de très belle facture. C’était ma première œuvre de « SF à papa », comme on l’entend parfois, et probablement mon premier classique du genre tout court, mais je ne saurais que trop recommander cette lecture que j’ai adorée. Ne vous laissez pas effrayer par les on-dits ou par l’épaisseur du roman ; si l'oeuvre vous inquiète, ignorez aussi la pléthore de livres estampillés « Dune », le cycle originel ne comporte que six tomes, et ce roman-ci se suffit à lui-même si vous le souhaitez. N’hésitez donc pas, ou plutôt n’hésitez donc plus, cet univers est bien plus accueillant qu’on ne le dit.
Aussi beau qu’implacable.