DÉS-AGRÉGÉE

EN FAUTEUIL ROULANT DANS L’ÉDUCATION NATIONALE

 

Julie Moria

 

prix découverte 2022

livre

On connaît tous la séquence des roues dentées avalant le pauvre Charlot au début du film culte "Les Temps Modernes", ou encore la scène des moulins à vent qu'affronte Don Quichotte dans le roman de Cervantès. Il semble bien que vous puissiez, aventureux lecteur qui tournez ces pages, garder à l'esprit ces deux images pour pénétrer au coeur des mécanismes de l'Education nationale.

 

Publication générale francophone

 

 Témoignage     Autobiographique 

Adolescent     Adulte 

 

   Ce témoignage relate, avec une pointe d’humour tragi-comique, mes deux ans comme professeure agrégée, stagiaire et en situation de handicap, dans l’enseignement public : une expérience lors de laquelle j’ai navigué de Charybde en Scylla et me suis confrontée à une institution lourde de dysfonctionnements. Par ailleurs, je suis porteuse d’une maladie rare qui m’oblige depuis toujours à me déplacer en fauteuil roulant. Malgré les difficultés liées à ma situation, j’avais pourtant longtemps imaginé ma carrière toute tracée au sein de l’enseignement.

   Un système prétendument « bienveillant et inclusif » fort de ses absurdités kafkaïennes a eu raison à petit feu de ma passion pour la transmission... du moins dans le cadre de cette institution. Commentaires outrageants de la hiérarchie, délires administratifs, messes pédagogistes : ce livre relate un étrange chemin révélateur du degré de déconnexion entre le terrain et les différents échelons de l’Éducation nationale.  Au-delà même de ce que j’ai subi, ce récit révèle plusieurs motifs du mal-être des professeurs et de l’état de l’institution, dont les victimes sont avant tout nos élèves.

Critique par Maud G.

 

    Quand j'ai découvert la publication de ce témoignage de Julie Moria, auteur brillante en situation de handicape, je n'ai pas hésité une seule seconde à me le procurer pour soutenir son action. J'avais vraiment envie de découvrir son parcours, comprendre. Mais je n'était pas préparée à tout ce que j'allais lire.

    Quand on lit un témoignage, on ne s'attend pas forcément à une recherche au niveau du style. Pourtant, Julie Moria nous offre une plume fluide, travaillée, d'une incroyable justesse, empreinte d'un humour - mais surtout d'un cynisme - piquant et théâtral venant transformer ce court récit autobiographique en une véritable tragi-comédie ! La narration autodiégétique - à la première personne donc -, est une évidence quant à son utilisation et pose les lecteurs comme confidents de l'auteur-narratrice. Le texte est vivant, dynamique, particulièrement rythmé, et pourrait sans problème être adapté pour le théâtre ! Si Molière nous était contemporain, il aurait très bien pu le porter sur les planches sous un titre satirique tel que "l'Académie de la bienveillance". Julie Moria sait manier les mots sans lourdeur, alternant les registres de langues et variant le ton. On regrette presque la courtesse du livre, tant les phrases s'enchainent naturellement.

    A travers son témoignage, Julie Moria nous raconte son parcours de professeur agrégée stagiaire dont la situation de handicape demande, outre un établissement scolaire accessible aux fauteuil roulants - ce qui au XXIe siècle devrait être la norme -, divers aménagements légaux afin de lui permettre d'enseigner comme n'importe quel professeur. Pourtant, on découvre bien vite que l'institution a quelque difficulté avec les bases et pratique avec brio l'hypocrisie sous le couvert d'un discours moral en faveur de l'intégration, ou tout du moins tant que cela ne dérange pas. Sans jamais se porter dénonciatrice, l'auteur nous fait réaliser combien la violence institutionnelle est banalisée quand elle brandit la bienveillance comme argument d'autorité. Un discours à sens unique qui ne laisse personne bien dupe. Si L’Éducation Nationale se garde bien, dans ses notations, je mentionner ouvertement le handicape comme le problème qui fâche, le doute est pourtant difficilement permis face à des appréciations comme "ne se déplace pas suffisamment dans la classe" qui ne concernent pas ses compétences professionnelles. On a beau savoir que le livre est un témoignage réel, les événements qui y sont relatés sont tellement énormes que parfois on en vient à se demander comment cela a pu arriver. On assiste aux défaillances administratives et à une déconnexion avec la réalité du milieu éducatif en échec qui, par accumulation, conduisent au harcèlement pur et simple. Et malgré la gravité, l'auteur-narratrice n'en perd pas pour autant son humour et parvient à retourner cela vers une réflexions plus larges sur les difficultés rencontrés par les professeurs, les problèmes dans le milieu scolaire et notamment en zone d'éducation prioritaire où, sous couvert de mise en application de recommandation aberrante, on en vient à entrainer les élèves vers le fond. Tout dans ce livre est dit avec intelligence, sans superflu.

    Dés-Agrégée est le genre de livre témoignage qui vous retourne. J'ai avalée les pages sans m'en rendre compte et, une fois la fin atteinte, je n'arrivais toujours pas à réaliser que tout ce que j'avais lu était réél . Je savais que l’Éducation Nationale Française était en perdition... Mais je ne l'imaginais pas à ce point désagrégée.

note

Car bienveillance rime avec violence

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