LE DÉCHRONOLOGUE

 

Stéphane Beauverger

 

livre

Il y a, je crois, tapis dans le cœur de chaque homme, une connaissance innée des écueils qui le menacent, comme une prémonition qui susurre à chacun la débâcle qui l'attend qu'il devait s'entêter.

 

 Publication de l'imaginaire

 

Uchronie     Science fiction     Voyage temporel

 Adulte 

 

   « Je suis le capitaine Henri Villon, et je mourrai bientôt. Non, ne ricanez pas en lisant cette sentencieuse présentation. N’est-ce pas l’ultime privilège d’un condamné d’annoncer son trépas comme il l’entend ? C’est mon droit. Et si vous ne me l’accordez pas, alors disons que je le prends. »

Ainsi débute le récit du capitaine Villon. Il lutte avec son équipage de pirates pour préserver sa liberté dans un monde déchiré par d'impitoyables perturbations temporelles. Son arme : le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps.

Critique par Maud G.

 

    Pourtant peu amatrice de science fiction, le hasard a fait que le Déchronologue s'est retrouvé entre mes mains, offert par un ami, amateur de récits d'aventures et de piraterie, qui m'en vanta les qualités. Le thème et l'ancrage historique propre à l'uchronie ayant de quoi titiller ma curiosité, je me suis lancée dans cette lecture pleine de promesses avec curiosité.

    Ce qui frappe en premier lieu, c'est l'organisation même du roman, puisque les différents chapitres ne défilent pas par ordre chronologique. Si le lien avec le genre de la science fiction, et plus précisément de voyage temporel, est évident vis à vis du fond, pour autant ce découpage est très controversé pour ce qui touche à la forme même du roman. Clairement, il plane la sensation d'une certaine facticité et cela est d'autant plus marquant que le style est particulièrement inégal. Au fil de l'avancée de la lecture, on remarque que l'organisation déchronologique n'est pas non plus idéale pour la tension narrative. Les chapitres se doivent d'avoir un début et une fin propre, de ne pas se terminer sur une situation à suspense puisqu'elle ne trouverait pas de continuité au chapitre suivant. Le prologue - excellent d’ailleurs - mis à part,  la première partie souffre ainsi de longueurs, d'un manque de rythme et surtout d'un problème d'exposition qui s'attarde au fil des chapitres. Tous ces problèmes en deviennent d'autant plus flagrants qu'ils se résolvent quand on attaque la lecture de la deuxième moitié du livre. Premièrement parce que les éléments d'exposition nécessaire à la compréhension des enjeux de l'intrigue arrive - on remerciera le chapitre IV - enfin, et deuxièmement parce qu'on se retrouve face à une approche plus concrète des personnages, des rapports entre eux, avec l'univers et ce qu'ils ont vécu. À partir de là, même si l'on est toujours confrontés à un enchainement déchronologique des chapitres, le texte trouve enfin sa dynamique et son rythme. Ainsi, la deuxième moitié du livre gagne un style riche, avec de nombreuses belles phrases qui apportent une esthétique fine à la plume de l'auteur, et par extension au roman... Mais malheureusement trop tard. Il aurait été pertinent de ne pas attendre la page 330 pour cela. Mais il n'y a pas des points noirs. Le travail fait sur les dialogues, et le langage de manière générale, est très intéressant. Pour exemple, à plusieurs reprise, on retrouve des échanges entre Henri Villon, en bon français, et Féfé de Dieppe qui emploie son étrange patois très personnel de boucanier ; et si, comme moi, on peut se retrouver frustré de ne pas savoir ce que ce dernier dit réellement, ne pouvant compter que sur les réponses de son interlocuteur pour tenter d'en avoir une rapide compréhension générale - et cela sous entend de faire confiance à l'interprétation d'Henri Villon -, l'immersion dans le monde des marins n'en reste pas moins très présente. Immersion renforcée d'ailleurs par une riche palette de champs lexicaux, notamment de la navigation au XVIIe siècle.

   Face à un tel roman, on comprend facilement la difficulté de dissocier forme et fond, tant la compréhension du récit tel qu'il nous est proposé est directement lié à l'organisation des chapitres qui se veut être un reflet des désordres temporels que subissent les caraïbes du XVIIe siècles et les personnages qui y évoluent. Le roman débute ainsi comme une histoire de marins, pirates et corsaires, de rivalités pour le contrôle des routes maritimes, de négoces, avant de tomber dans l'uchronie de science-fiction à coup de facilité scénaristique. L'intrigue est fouillis, manque de logique et peine à apporter des réponses aux diverses questions laissé en suspens. Et si les rares chapitres qui s'intéressent vraiment à la flibuste ou à l'exploration sont particulièrement intéressants et apporte une vrai richesse au roman, le récit tourne vite en rond et s'enlise dans plusieurs scènes d'emprisonnement et de geôles qui donnent l'impression de se répéter. Clairement, le roman est inutilement trop long, ou plutôt l’organisation déchronologique des chapitres en donne ce ressenti, et si l'on se passe des quelques passages qui tendent meubler l'histoire, on parvient à déceler l'ombre d'un récit d'aventure picaresque qui aurait pu réellement sortir des sentiers battus. L'importation temporelle d'objets du futur - les maravillas - et leur négoce, l'exploration de terres éloignés, la rencontre de cultures avancées, les attaquent en mer par des bâtiments modernes, le désir de comprendre les phénomènes de dérèglement du temps, plus largement la maîtrise du temps, tout cela aurait pu servir l'écriture d'un très grand roman d'uchronie de science-fiction. Car à coté de toutes ces maladresses, on ne peut que reconnaitre le grand soin apporté à la véracité de l'univers, de l'époque, les détails apportés à l'ambiance, qui démontrent un certain travail de recherche de la part de l'auteur, auquel s'ajoute des idées très originales. Aussi, on est facilement sensible à l'environnement du récit à travers ses descriptions. Les personnages sont très bien caractérisés, avec des personnalités bien marquées, et Stéphane Beauverger parvient sans problème à nous les rendre attachants, même si le découpage déchronologique du livre dresse une sorte de barrière entre eux et le lectorat. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer comme les noms, que ce soit des personnages ou des navires, marquent l'esprit, même une fois le livre terminé, alors que c'est moins le cas en ce qui concerne l'intrigue.

    Dans l'ensemble, cela reste un bon roman, et probablement l'un des rares livre de science fiction que j'ai pu apprécier. Mais même si la deuxième moitié du livre parvient à rattraper les nombreuses erreurs de construction du récit, Stéphane Beauverger n'a malheureusement pas su me convaincre totalement avec son Déchronologue. Par chance, je suis une lectrice qui porte beaucoup d’intérêt au style, et sur ce point j'y ai bien plus trouvé mon compte. Avec du recul, je pense que j'aurais dû faire l'effort de lire les chapitres dans l'ordre temporel et faire fi de l'ordre éditorial, d'autant plus que la table des matières en fin de livre indique justement les numéros chronologiques des chapitres et les pages correspondantes. Si vous lisez cette critique en vu de vous lancer dans la lecture du Déchronologue, au moins vous savez que cela est possible, mais cela ne palliera pas le manque de développement de certains éléments ou l'absence de réponse à plusieurs questions.

note

dans le brouillard

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