BLANCHE OU LA TRIPLE CONTRAINTE DE L’ENFER
BLANCHE I
Hervé Jubert
Le Parisien est ainsi fait : qu’on le rationne ou qu’on l’oblige à marcher, que les becs de gaz restent éteints la nuit ou que les logements vides soient réquisitionnés, il n’en continue pas moins à vivre comme si de rien n’était.
Publication jeunesse loi n°49-956 du 16 juillet 1949
Enquête Historique
Pré-adolescent Adolescent Tout public
Paris, 1870. L’armée prussienne encercle la ville. Les Parisiens sont prisonniers et l’hiver s’annonce terrible. Blanche, dix-sept ans, est prise au piège comme les autres. Heureusement, son oncle Gaston, commissaire à la Sûreté, est là pour la protéger.
Mais une enquête difficile le préoccupe... En effet, un cadavre est retrouvé dans les jardins du Palais-Royal, trépané, un tatouage occulte sur le bras gauche. Blanche, passionnée par les méthodes d’investigation, se met en tête d’aider Gaston, et sa route croise bientôt celle d’un deuxième tatoué, assassiné lui aussi. Dans une ville guettée par la famine, la jeune fille plonge au cœur d’un palpitant mystère et d’une terrible vengeance, aux frontières de la magie noire.
Critique par Élisabeth L.
Je dis rarement non à une enquête historique, à une histoire teintée de magie noire, à une ambiance fin XIXe siècle, et la personne qui m’a offert ce roman – et que je remercie encore – le savait très bien.
Pourtant, ma lecture n'avait pas très bien commencé à cause du style très haché et mécanique - notamment à un moment, sur les six paragraphes d’une page, quatre commencent par "Blanche" et plus tard s’enchaînent des phrases en "Elle... Elle... Elle... Elle... " - , voire complêtement détaché alors que l'héroïne est confronté à des moments particulièrement tendus. Et bien qu'on nous dise qu’elle est triste, et rien de plus, il n’y a pas d’émotion qui se dégage. Pourtant, au début du roman, dans un passage du point de vue d’Émilienne, l’amie de Blanche, on ressentira la vivacité de ses pensées, donc pourquoi tant de détachement avec Blanche ? Heureusement, après la première partie, les répétitions de sujet se calment et, même si le style demeure inégal et parfois haché, il se fluidifie pour finir par réussir à devenir très prenant dans le dernier tiers du roman. De temps en temps, la plume s’orne de métaphores très imagées qui tranchent avec le ton général plutôt réaliste, mais sans être trop gênantes. Quelques touches d’humour sont saupoudrées au fil des chapitres sans qu’aucune ne me semble fausse ou mal à propos par rapport à l’action. De manière générale, les dialogues sont fluides, souvent même dynamiques, et correspondent avec suffisament de vraissemblances aux personnages. J’ai toutefois relevé quelques bizarreries comme une corrélation syntaxique à cheval entre deux paragraphes et une hésitation entre globe et planisphère pour décrire le tatouage, ou encore un endroit où la narration nous dit qu’un personnage lit une information mais sans nous la donner. Certes, celle-ci arrive à la page suivante pour conclure le chapitre, maisreste tout de même maladroit.
À propos de l’intrigue, j’avoue avoir été mauvaise langue au début à cause de certains passages et certaines formulations qui semblaient orienter vers un triangle amoureux très cliché avec Arthur Léo (le jeune adjoint de l’inspecteur), Claude Salmacis (le préparateur anatomique) et Blanche, mais finalement non. Il y a bien l'expression de sentiments, mais cela reste très tertiaire. Ce sera peut-être différent dans les autres tomes. L'enquête se déroule progressivement et, même si le prologue aide à deviner le mobile des meurtres, les circonstances et la nature exacte du lien entre les victimes ne se devinent pas si facilement. On parviendra au moins à élaborer quelques pistes à partir de certaines informations. Pour ce qui est des personnages, à cause de son défaut de sentiments, Blanche provoque assez d'indiférence pendant la majeure partie du roman. Personnellement, je n’ai commencé à l’apprécier que vers la fin, quand elle commence à monter un plan avec Victor et Émilienne et quand elle trompe certains antagonistes. Avant ça, elle apparait soit lisse, soit fait preuve d'actions incompréhensibles, comme un endormissement soudain en pleine conversation avec des officiels, parler à haute voix de toute l’affaire avec Émilienne alors qu’un homme les écoute à côté, ou encore quand elle donne son adresse à quelqu’un après une question sortie de nulle-part et ne panique pas plus que ça quand elle se dit après coup que cette personne pourrait être très dangereuse. Malgré, la relation qu’elle entretient avec son oncle, le commissaire Gaston Loiseau, qui l’encourage sur sa voie – en la grondant pour la forme tout de même – et, surtout, qui fait montre de beaucoup d’empressement pour elle. J’ai toutefois été un peu plus dubitative face à l'utilisation du cliché de l’enquêteur chevronné qui soupçonne un personnage de manière hâtive, parce qu’il était là au mauvais endroit au mauvais moment, face au néophyte convaincu de son innocence parce que, justement, c’est trop léger. C'est assez dommageable quand, à côté, le Commissaire Loiseau est censé être bon dans son métier, donc faire preuve d’un peu plus de jugeotte. Les autres personnages secondaires, particulièrement sympathiques, nous laisse entrevoir des développement intéressant pour la suite. Naturellement, les quelques passages impliquant Sarah Bernhardt, dont l’excentricité, le goût du spectacle et le fort caractère ne sont jamais loin, sont particulièrement appréciables ! Et il en de même pour Baylac, l’indic’ à la canne sculpté, qui a un certain je ne sais quoi qui s’intègre parfaitement dans ce climat occulte de fin du XIXe siècle, et un côté excentrique que j'ai personnellement apprécié. À cette époque qui voit les débuts de la criminologie et la fin du Second Empire, tous ces personnages évoluent dans une ambiance de siège vraiment bien rendue dans l’ensemble. Plus les chapitres passent, plus on voit les privations successives et le chaos qui s’installe dans les rues désertées, les tentatives pour résister ou repousser les Prussiens, leurs conséquences, les diverses attaques... Là aussi, plus le roman avance et plus l’étau se resserre, plus ces passages sont forts, assortis d’anecdotes historiques. Les rues ne sont toutefois pas trop décrites, seulement par petites touches, ce qui est assez suffisant pour s’en faire une idée. Derrière, vu l’implication des mythes dans l’intrigue du roman, un petit fond archéologique se dessine avec les mentions de Schliemann en fouilles à Troie, grâce à sa correspondance avec Kolosowski. Dommage toutefois que ce même Kolosowski, qui lit l’Iliade et semble calé en mythologie, confonde Gaia et Rhéa dans le mythe de Cronos dévorant ses enfants. Le filtre occulte prend bien vite son importance avec la dissolution des cadavres et la présence du folklore appliqué à la magie, notamment Faust. Couplé au contexte de fin du XIXe qui se prête bien aux histoires occultes vu l’intérêt que les gens y portaient à l’époque, ainsi qu’aux scènes à Notre-Dame et au futur Sacré Cœur, l’ensemble acquiert une texture bien particulière particulièrement plaisante.
Malgré un début un peu laborieux, toute la confrontation finale, pleine de tension, de révélations et d’images frappantes, m’a vraiment accrochée. Il en ressort un bon divertissement que je conseille aux personnes qui apprécient le récit d'enquête dans un contexte historique, et surtout la période dans lequel il se déroule car, mine de rien, le fond finit par prendre le pas sur la forme. Pour ma part, j’irai lire la suite à l’occasion.
Une enquête occulte dans un Paris assiégé