LA BÊTE DU BOIS PERDU
Nina Gorlier
Mais le sang d’un personnage n’est fait que d’encre, sa chair n’est que papier. Dans un récit pour survivre, il n’est rien.
Littérature de l'imaginaire
Conte Fantastique
Adolescent Adulte
« La Bête est insaisissable. Elle se glisse dans les sous-bois quand tombe silencieusement la nuit. Elle rampe, rugit d’une rage sourde, prête à ravager les alentours de sa fureur meurtrière. Et nul ne la rencontre sans en mourir. La Bête n’a pas d’ombre. Elle ne laisse aucune trace après son passage, si ce n’est que le corps massacré de sa pauvre victime. Dans la pâle lumière du soir, sa fourrure se marie à l’absence de couleurs. »
Depuis qu’elle a décimé sa famille, Sybil n’a qu’une obsession : tuer la Bête et trouver enfin la quiétude dans la vengeance. Moins coquette que ses sœurs, moins prompte à se marier que les autres filles de son âge, la belle, éprise de liberté, préfère s’exercer aux arts de la chasse et manie l’arbalète avec courage. Retenue au village par l’amour qu’elle porte à son père défaillant, elle finit par répondre à l’appel obsédant de la forêt le jour où la Bête frappe de nouveau. Sait-elle qu’elle vient de poser le pied au cœur d’un labyrinthe inextricable fait de roses dorées, de contes oubliés et d’illusions démentes ?
Les rêves et les cauchemars, les histoires et les réalités se mélangent dans ce bois perdu où les reines mangent les cœurs des jeunes filles et où les princes cachent des monstres …
Critique par : Morgane R.
Je suis les aventures de la maison d’édition Magic Mirror depuis ses débuts. J’adore les réécritures de contes de fées, alors avec une maison d’édition qui ne se dédie qu’à ça, je ne pouvais qu’adorer et rêvais de pouvoir découvrir l’une de leurs parutions. Que ne fût pas ma joie quand ils ont accepté de m’envoyer l’un de leurs livres ! J’étais d’autant plus heureuse qu’il s’agissait de ce titre, La Bête du Bois Perdu, une réécriture de La Belle et la Bête de Madame Gabrielle-Suzanne de Villeneuve qui est mon conte de fées préféré. Je remercie donc chaleureusement les éditions Magic Mirror pour cet envoi et pour leur confiance.
Dès les premières lignes, nous sommes totalement immergés dans l’histoire. L’auteur ne tient pas un stylo, mais un pinceau : chacun de ses mots prend vie sous sa plume pour donner un merveilleux tableau. Plume qui apporte une ambiance digne de celle des anciens contes : les autres réécritures que j’ai pu lire avaient une atmosphère très contemporaine. Ici, on a l’impression que le conte date des temps anciens, grâce à un vocabulaire soutenu et ce malgré une narration au présent, et c’est l’une de ses nombreuses originalités. Le récit est divisé en quatre parties. On suit deux histoires : celle de Sybil et celle du Prince qui introduit chaque nouvelle partie. Les deux récits se suivent de manière parallèle et on attend avec impatience le moment où ils vont finir par se rejoindre et ne faire plus qu’un. C’est écrit à la troisième personne du singulier d’un point de vue interne, ce qui nous permet de connaitre toutes les pensées et les ressentis de Sybil, mais pour le reste, on est au même niveau qu’elle : on ne sait ce qui se passera ensuite. Le suspense est très présent et tenu jusqu’au bout, donnant à l’histoire un rythme soutenu et presque haletant, sans nous laisser le temps de nous ennuyer un seul instant.
Ce qui fait l’originalité de l’intrigue, c’est qu’elle est totalement revisitée : là où beaucoup d’auteurs - dans leurs réécritures -, se contentent seulement de modifier quelques éléments tels que la temporalité, ou le genre du livre, ici, Nina Golier a totalement réinventé l’histoire de la Belle et la Bête. Bien que celle-ci reprend le conte de base, l’auteur va y mêler, de manière plus ou moins explicite, de nombreux éléments, références et personnages d’autres contes de fées, en faisant un récit extrêmement riche en intertextualités et surprenant. Impossible de deviner la fin. Du génie ! L’autrice reprend bien évidemment les éléments classiques du conte de fées tels que les personnages typiques, magiques et enchantés, la magie omniprésente, les thèmes du deuil, de la vengeance, du pardon et de la quête initiatique du personnage principal qui l’amènera à grandir et évoluer. On retrouve également une vision très manichéenne au début, comme dans de nombreux contes, à la différence que cette distinction très nette entre le bien et le mal s’estompe au fur et à mesure, rendant les personnages encore plus humains, car comme dans la vraie vie, tout n’est pas que blanc ou noir. L’histoire commence par celle du Prince, là aussi, quelque peu modifiée par rapport au conte d’origine, mais très plausible et on pourrait presque croire que c’est celui-là, le conte de base. On a toujours ce Prince qui devient arrogant et prétentieux et qui sera puni pour ça. Mais les conditions ne sont pas les mêmes que dans le conte d’origine et on peut tiquer sur la justesse d’un tel châtiment donné par le personnage de l’enchanteresse, censée être une entité juste et impartiale, mais remise en question ici. Puis on enchaine avec l’histoire de Sybil, une jeune femme farouche et indépendante, profondément affectée par le meurtre de sa mère par la Bête, des années plus tôt. Bien qu’elle soit un personnage de conte, Sybil est vraiment humaine et réaliste, loin de la jeune fille clichée qu’on retrouve souvent dans ce genre de récit. Elle a ses qualités et ses défauts, et surtout ses blessures et ses peurs ! Il est très rare de trouver un personnage principal qui a peur et le reconnaisse, et c’est ce qui est particulièrement plaisant et la rend attachante : on peut plus facilement s’identifier à elle, compatir pour elle. C’est un personnage féminin fort et très inspirant. Aveuglée par sa soif de vengeance, elle se lance dans une quête périlleuse à la recherche de la Bête afin de la tuer. Persuadée de réussir là où de nombreux autres ont échoué, elle va vite se rendre compte qu’elle s’est surestimée et que le chemin sera semé d’embûches. La forêt dans laquelle elle se rend pour retrouver la Bête est tout sauf bienveillante. Les lecteurs comprendront très vite qu’il s’agit d’une allégorie de la vie, un labyrinthe dans lequel on peut se perdre facilement, parfois trompeur, où surmonter les obstacles fait partie du jeu pour avancer et évoluer. Une quête pour le pardon qu’elle a tant besoin et attendait désespérément de la part des autres avant de comprendre qu’elle était la seule à pouvoir se l’accorder et se libérer. Le pardon et la rédemption sont des thèmes majeurs de cette histoire et on les retrouve aussi pour le personnage du Prince. L’ambiance du livre peut faire penser à celle glauque, effrayante et noire des contes de Grimm qui donnent des frissons, mise en opposition à celle magique et merveilleuse des contes de Perrault dans les descriptions des paysages, des décors, les tenues des personnages, nous faisant rêver et nous en mettant plein la vue.
Vous l’aurez compris, ce livre est un énorme coup de cœur pour moi ! J’ai été totalement transportée dans cet univers, ressentant toutes les émotions des personnages, traversant les mêmes épreuves qu’eux. J’avais peur en commençant qu’il s’agisse d’une énième réécriture de conte, de tomber sur quelque chose de banal et déjà-vu, mais il n’en est rien. Au contraire ! Cette histoire est totalement originale à tout point de vue et je suis tellement heureuse d’avoir pu la lire ! Je la recommande à tous, que vous soyez fan de réécriture, d’aventure, de magie ou même de frissons, n’hésite pas à vous lancez dans cette merveilleuse quête.
Sublime