À L’ÉQUINOXE ET AU-DELÀ

 

Natsume Sôseki

 

livre

Et en levant les yeux vers le vaste ciel, il se demanda, alors que le drame semblait s’achever si abruptement, comment ce théâtre poursuivrait ses éternelle vicissitudes.

 

 Littérature générale étrangère

 

Roman d’apprentissage     Littérature japonaise Meiji

Adulte 

 

   Une étrange mission marque pour Keitarô l’entrée dans le monde des adultes, du travail, des femmes, là où sont divulgués les secrets de l’existence, là où se rejoignent la fin et l’origine.

   Au-delà de l’équinoxe, au-delà de l’éducation sentimentale d’un jeune homme naïf et curieux, l’auteur de Botchan et du Mineur pousse l’investigation de l’âme et des passions qui meuvent les êtres jusqu’à l’expérience ultime de l’amour et de la mort.

Critique par Chloé M. R.

 

    Avant de rencontrer ce livre, j’ai rencontré son auteur au gré de mes pérégrinations dans les méandres d’internet. Je cherchais alors un poète japonais du XVIe siècle et j’ai trouvé un romancier japonais du XIXe, poète aussi, quand même. Plus précisément, je tombai sur un roman intitulé Rafales d’automne ; le titre était beau, ça m’a suffit. Mais le problème qui surgit fut qu'il n’était plus édité, impossible donc de l’avoir neuf et j'ai beaucoup de mal avec les livres d’occasion, à l’exception notable des éditions anciennes. Néanmoins, j’étais plus qu’intéressée, alors je me suis tournée vers un autre des romans de Sôseki, pour voir si son propos vaudrait le coût de transiger avec mes principes. Ce titre-ci était aussi beau que l’autre, et il avait le bon goût d’être toujours édité. Il ne m’en fallait pas beaucoup plus pour que je trottine gaiement vers une librairie qui l’avait en stock.

    Le roman est divisé en six sections, chacune tournant autour d’un épisode particulier, et une conclusion qui permet de résumer l’histoire et de mieux faire le lien entre chaque épisode. Chacune de ces sections est composée de plusieurs chapitres – d’une dizaine à plus d’une trentaine – de quelques pages seulement, rendant la lecture à la fois très fractionnée et en même temps très fluide et facile puisqu’on peut très facilement s’arrêter et reprendre au gré de nos envies ou de nos besoins. Quelque part, ce découpage, tout comme le style très simple fait de phrases généralement courtes, très courant dans la littérature japonaise, contribue à rendre le texte très accessible pour un lecteur n’ayant pas l’habitude de lire des classiques. De la même manière, les quelques notes de fin de volume rédigées par la traductrice, pour expliquer quelques éléments des coutumes et des croyances japonaises, permettent même à un néophyte de se sentir à l’aise. Malgré ces efforts, il m’est néanmoins arrivé, à plusieurs reprises, et bien que ne parlant pas japonais moi-même, d’avoir la sensation trouble que la traduction posait problème, comme si elle n’arrivait pas à transmettre ce que le texte voulait dire. Mais peut-être que cette impression vient de l’aspect déconcertant du roman.

    En effet, il y a quelque chose de profondément déconcertant dans celui-ci : il mélange de manière très étonnante les éléments du roman d’apprentissage européen le plus classique et une manière d’aborder les choses très japonaise. Ceci s’explique, en partie, par l’époque à laquelle a été écrit ce récit, c'est à dire la fin du XIXe siècle, lorsque le Japon s’industrialise à toute vitesse, s’ouvre au monde extérieur et où la rencontre entre le mode de vie traditionnel japonais et celui d’une modernité, très européenne, se fait prégnante. Ainsi, outre son seul aspect romanesque, cette œuvre est aussi l’écho d’un temps profondément changeant et l’auteur prend soin d’évoquer minutieusement ces changements qu’il a lui-même pu vivre. On peut les voir dans des détails évoqués au détour d’une page : des hommes parfaitement vêtus de kimonos aux motifs traditionnels et portant naturellement un chapeau de feutre, par exemple. Ou bien, avec un sous-texte plus politique, lorsqu’un diplômé en droit n’arrive pas à trouver un emploi parce qu’aujourd’hui faire de longues études est devenu courant et que cela amène donc la mort des anciens privilèges associés à ce statut. Ainsi, plus qu’un simple roman d’apprentissage, au travers de ces portraits de personnages, tantôt fantasques, tantôt tristes et sérieux, et au travers des épisodes qui rythment le récit, c’est tout un monde ancien qui se dévoile. Si le personnage central, Keitarô, découvre ce que c’est que grandir, plus souvent au travers des histoires d’autrui que de ses propres expériences, le lecteur, lui, découvre ce Japon de la fin du XIXe siècle. Néanmoins, puisqu’il faut aussi parler de l’intrigue, notons que celle-ci est assez décousue. En effet, si au début on suit un personnage auquel il arrive quelque chose, bien vite son existence n’est plus que le prétexte pour écouter les récits des uns et des autres, amenant donc des éléments très disparates à se côtoyer, de section en section, chacune devenant l’écrin d’une histoire unique. De plus, un élément particulier dans les premières sections, volontairement laissé flou pour un effet de suspense, est en réalité très facilement identifiable pour le lecteur, et si cela accentue l’aspect naïf du protagoniste, cela ne semble pourtant pas tout à fait volontaire de la part de l’auteur. En dépit de ceci, tous les personnages sont parfaitement caractérisés, chacun, jusqu’au plus secondaire, a ses propres traits de caractères et même ses contradictions éventuelles sont explicitées et crédibles. Tous sont extrêmement bien travaillés, de sorte qu’il soit aisé de plonger avec eux, grâce à leurs récits, dans leurs psychés et leurs réflexions qui offrent à Keitarô, comme aux lecteurs, des miroirs dans lesquels contempler son évolution.

    Si je recommande la lecture de ce roman, au-delà de son histoire plutôt bien faite et de ses excellents portraits de personnages, c’est pour sa dimension historique. En effet, cette œuvre, comme toutes celles de Sôseki d’ailleurs, montre tous les changements dans la société japonaise à l’époque où il écrivait. C’est donc à la fois un témoignage précis et riche, mais aussi un moyen de voir différemment ce Japon toujours représenté, dans l’imaginaire collectif, soit comme hyper technologique soit comme profondément archaïque. Pour moi, se jouent dans ces années-là quelque chose d’essentiel pour comprendre le Japon actuel mais aussi quelque chose d’essentiel pour pouvoir appréhender toutes les périodes de transition et de profonds changements. Et donc pour pouvoir appréhender notre monde actuel.

note

Aussi étranger que familier

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